Dans son ouvrage fondateur La société du risque, le sociologue allemand Ulrich Beck fait du risque l’élément central de notre modernité. Au gré des avancées technologiques, nos sociétés se caractérisent par la prolifération de risques majeurs, incommensurables, dont la gestion occupe une part grandissante de l’activité gouvernementale. Les dix-huit mois que nous venons de vivre nous ont placés au cœur de l’un d’entre eux. Nous savons aujourd’hui que d’autres crises suivront.
La plus évidente est la crise climatique, à laquelle l’humanité reste encore mal préparée. L’urgence n’est pas seulement de changer de trajectoire pour éviter une hausse des températures incontrôlée, mais de nous adapter aux épisodes météorologiques extrêmes qui s’annoncent et qu’il est déjà trop tard pour empêcher. Le grand désordre mondial multiplie aussi les risques politiques tels que le terrorisme ou la cybercriminalité. Pour l’Etat et les collectivités, le plus souvent en première ligne lors de sinistres, c’est une véritable culture du risque qu’il faut développer. Plutôt qu’un état d’urgence et d’inquiétude permanent, une véritable faculté d’anticipation qui permette d’agir fort lorsque c’est nécessaire, et une organisation qui fasse travailler en bonne intelligence tous les acteurs concernés.
Au cœur du risque se situe la précaution, un principe devenu central alors que la complexité croissante des technologies et l’incertitude scientifique rendent plus difficile l’élaboration des politiques publiques. Le principe de précaution peut faire courir le risque d’une innovation bridée et d’une croyance en une société du « risque zéro », chimère pas plus atteignable que souhaitable, mais il est néanmoins nécessaire. Nous devons cette prudence aux générations futures qui auront à faire face aux conséquences de nos agissements actuels. La question de la précaution illustre d’ailleurs le caractère éminemment subjectif de la perception des dangers, parfois bien éloignée de leur réalité. Hiérarchiser les risques, ordonner correctement nos priorités, suppose donc d’effectuer un travail de déconstruction préalable.
Le risque est un objet éminemment politique dont la régulation ne peut être déléguée entièrement aux experts. La gestion des risques s’impose, pour tous les Etats à travers la planète, comme un des grands enjeux de ce siècle. De son résultat dépendra en grande partie l’avenir de l’humanité.