OPINION. La notion de souveraineté, revenue sur le devant de la scène à la faveur de la crise sanitaire, est aujourd’hui reprise à leur compte par différents courants populistes. Mais cela ne fournira pas une réponse aux défis planétaires – environnementaux, migratoires, économiques ou numériques- auxquels nous sommes confrontés. (*) Par Jean-Michel Arnaud, vice-président de Publicis Consultants, directeur des publications de l’Abécédaire des institutions et conseiller du commerce extérieur de la France.
On ne parle que de lui sans pouvoir s’accorder sur ce qu’il est vraiment. Le populisme, dont les tenants ont le vent en poupe ces dernières années, reste rétif aux définitions. Sous ce vocable se retrouvent des forces politiques variées dont le dénominateur commun est de remettre en cause le consensus établi – par et pour les élites – au Nord depuis la fin de la Guerre froide : démocratie représentative et libérale, intégration économique régionale et mondiale, multilatéralisme dans les relations internationales.
Pour ceux qui continuent à croire que cet ordonnancement, largement perfectible, demeure la meilleure garantie de la paix et la prospérité mondiale, les populistes sont une menace. Néanmoins, dans le bloc souvent peu cohérent de leurs revendications, il est important de bien distinguer du souverainisme classique ce qui relève d’une forme plus radicale de « néo-populisme », autrement plus dangereux pour la démocratie.
Deux inquiétudes légitimes
Grande gagnante de la crise sanitaire, la souveraineté (voire les souverainetés : nationales, régionales, locales, …) est revenue sur le devant de la scène et se décline aujourd’hui à l’envi : elle est sanitaire justement, mais aussi industrielle, alimentaire et bien sûr politique et juridique. C’est sur ce dernier point que les populistes se retrouvent, eux qui sont naturellement suspicieux de toute forme d’intégration supranationale pouvant mener à réduire les marges de manœuvres des Etats. La coopération internationale doit se faire à la carte, sur la base d’engagements dont le respect est soumis au bon vouloir des participants. Cette nostalgie de l’ordre westphalien, dont on peine à voir la pertinence pour aborder les grands défis planétaires, que ceux-ci soient environnementaux, migratoires, économiques ou numériques, révèle néanmoins deux inquiétudes légitimes présentes dans la population, auxquelles une réponse doit être apportée.
La première est le sentiment de perte de contrôle. Nombre de nos concitoyens font le constat, parfaitement avéré, de l’incapacité croissante du politique à agir, du fait notamment de l’interpénétration croissante de nos sociétés. Et c’est naturellement que leur attention se porte sur l’échelon national, horizon encore indépassable de l’action publique mais échelon insuffisant pour retrouver des marges de manœuvre dans la mondialisation. A cette demande, il faut répondre par un changement d’échelle en soutenant l’idée d’une souveraineté européenne qui doterait le continent d’une politique de sécurité et de défense lui permettant de mieux faire valoir ses intérêts.
L’éloignement toujours plus grand de la décision politique
La seconde inquiétude, ou plutôt grief, tient dans l’éloignement toujours plus grand de la décision politique, dont l’intégration européenne est justement un catalyseur, et le sentiment que celle-ci n’est plus élaborée de manière démocratique. C’est ce qui a nourri le mouvement des Gilets Jaunes. Il est donc nécessaire, à tous les niveaux, de trouver des mécanismes permettant de renforcer la participation citoyenne et la légitimité de l’action publique, tout en s’assurant que les transferts de souveraineté respectent bien le principe de subsidiarité. Partout où c’est possible, la politique doit se faire au plus près des citoyens.
Le citoyen, justement, dont les vertus et l’engagement doivent rester notre boussole, mais que les populistes instrumentalisent par la promotion d’une version dénaturée, atome perdu dans la masse homogène d’un peuple en lutte contre ses élites. Les populistes se défient de toutes les formes d’intermédiation et de représentation. Les médias, en particulier, qu’ils abhorrent, et les diverses autorités établies, que celles-ci soient politiques, économiques ou scientifiques. D’où un rapport plus que distant à la vérité qui frise bien souvent avec le complotisme.
Un grave danger pour la démocratie
A l’ère des réseaux sociaux rois et de la dérégulation totale du marché cognitif, ce populisme fait courir un grave danger à la démocratie. Les populistes, comme le dit si justement Gérald Bronner dans son ouvrage Apocalypse cognitive, prennent acte de « notre appétence pour la conflictualité […] notre avarice cognitive ou encore notre soumission aux injonctions de la visibilité sociale ». Ils ne la regrettent pas mais s’en réjouissent au contraire, conférant « à ces forces émergentes de nos invariants mentaux une légitimité politique », l’érigeant en une vérité collective que « l’élite dominatrice chercherait à dévitaliser ». Ils font du débat public un véritable champ de bataille sur lequel il devient de plus en plus difficile de s’accorder sur l’essentiel, les faits.
Les résultats de cette offensive néo-populiste ne sont nulle part plus apparents qu’aux Etats-Unis, où, après quatre ans de mandat Trump, le niveau de tribalisme politique a atteint des sommets. On serait mal avisé de n’y voir qu’un phénomène américain, alors que certaines forces politiques en France surfent ouvertement sur la désinformation vaccinale et sur le doute raisonnable dont il faudrait faire preuve à l’égard des professionnels de santé. Il n’est guère surprenant que les supporteurs de Didier Raoult, dont les positions sont massivement rejetées par ses pairs, se retrouvent majoritairement chez les sympathisants du Rassemblement National et de La France Insoumise.
Savoir écouter le peuple ne signifie pas devoir flatter ses plus bas instincts. Là est la différence entre ceux qui veulent tirer le citoyen vers le haut et ceux qui font du « peuple » l’alpha et l’oméga de leur pensée politique.