Publié le 23/03/18
LE CERCLE/POINT DE VUE – Malgré les opportunités économiques offertes, l’e-commerce constitue une activité aux externalités négatives nombreuses. Il est grand temps que le législateur intervienne.
À l’origine de changements profonds et durables dans nos modes de vie, le commerce en ligne a donné naissance à de nouveaux géants, Amazon en tête. Mais malgré les nouvelles opportunités économiques offertes, l’e-commerce se révèle malheureusement être aujourd’hui une activité aux externalités négatives nombreuses.
Ce n’est en aucun cas une fatalité, mais ce constat provient plutôt du comportement attentiste que les pouvoirs publics ont adopté jusqu’à maintenant à son égard. Ils disposent pourtant d’un puissant levier : la prérogative régalienne de décider de la réglementation et de la fiscalité.
Destruction d’emplois
Si l’e-commerce est une activité florissante, ses effets sur la société sont pour le moins contrastés. Sur le volet de l’emploi, il mène à des destructions particulièrement visibles dans le domaine du commerce physique traditionnel. Bien sûr, l’innovation est synonyme de destruction créatrice, mais le commerce en ligne est loin de remplacer la totalité des emplois qu’il supprime. On estime qu’un vendeur en ligne mobilise environ quatre fois moins de personnel qu’un vendeur physique.
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Les emplois créés sont souvent qualifiés, notamment du fait de la robotisation qui s’accroît dans les entrepôts. Les personnes les moins qualifiées se retrouvent donc exclues de ces nouvelles opportunités. Une exclusion qui touche aussi les centres-villes, où le petit commerce disparaît progressivement. On peut également critiquer le consumérisme à outrance exacerbé par certaines plates-formes, qui n’hésitent pas à exploiter la pulsion d’achat de consommateurs passant toujours plus de temps sur leurs écrans.
Optimisation fiscale
Les performances du secteur de la vente en ligne sont bien évidemment liées aux services rendus au consommateur, inutile de le nier. Mais ce n’est pas tout. La fiscalité pesant sur ces derniers est lourde et foisonnante, principalement basée sur le foncier, une charge à laquelle échappe l’e-commerce, qui opère depuis un nombre limité d’entrepôts.
Certains acteurs profitent de l’absence d’harmonisation fiscale au niveau européen pour localiser leurs profits dans des pays à l’imposition très avantageuse – comme Amazon au Luxembourg – et ne paient donc quasiment pas d’impôts dans les autres pays où ils opèrent. Dans une telle situation, on imagine bien les difficultés auxquelles fait face le commerce traditionnel pour tenter de rivaliser.
Une charge pour l’environnement
Contrairement, peut-être, à une idée reçue, l’impact environnemental de l’e-commerce est également problématique. Son développement a conduit à la multiplication des trajets – parfois depuis l’autre bout du monde – et des emballages, du fait du caractère plus fragmenté de l’achat en ligne, du besoin accru de protection des marchandises, et d’une incitation plus forte au retour.
Lorsque l’on se déplace soi-même, au contraire, on a tendance à regrouper ses achats et l’on est moins enclin à retourner le produit. Si l’on ajoute à cela la consommation d’énergie de l’utilisation d’Internet, souvent sous-estimée, il n’est pas étonnant qu’une récente étude ait conclu que l’impact écologique d’un produit acheté en ligne est équivalent à celui de vingt-cinq produits achetés en magasin.
Un marché oligopolistique
La valeur économique créée par l’e-commerce se concentre entre quelques mains. Certes, le secteur est en pleine croissance, certains spécialistes envisagent, par exemple, son maintien à un rythme de croissance de 10 % par an en France pour les années à venir, mais la concentration à l’œuvre laisse les investisseurs dubitatifs. Ce sont 5 % des acteurs de l’e-commerce qui captent 85 % du chiffre d’affaires dans le pays.
La concurrence est féroce et le risque d’éclatement d’une nouvelle bulle financière bien réel, comme le montrent les difficultés rencontrées récemment par le site de vente Sarenza. Il y a fort à craindre que l’e-commerce devienne un marché oligopolistique, du fait des hautes barrières présentes à l’entrée.
Dans l’attente du régulateur
Pour éviter de faire du commerce en ligne un secteur au service des profits de quelques-uns, il est nécessaire que le régulateur entre en scène. Pas pour remettre en cause son existence et les formidables innovations qu’il véhicule, mais pour assurer une concurrence saine entre acteurs, favoriser la reconversion professionnelle et protéger certains intérêts sociaux et environnementaux légitimes.
Il serait, par exemple, bienvenu de supprimer la fiscalité foncière pour les entreprises et de taxer plutôt la valeur ajoutée, applicable à toute vente réalisée auprès d’un résident. L’État pourrait aussi par diverses mesures, incitations fiscales, investissements ou formations, aider les commerçants traditionnels à s’adapter à l’offre en ligne et contribuer ainsi à maintenir le tissu économique local. Sur le volet environnemental, des solutions existent aussi, comme une taxation carbone sur les livraisons gratuites illimitées ou l’incitation à utiliser des matériaux biosourcés pour les emballages.
Il reviendra au législateur de placer subtilement le curseur de la réglementation et de la fiscalité afin de trouver une balance entre réglementation nécessaire et marges de manœuvre suffisantes pour les entreprises, dans un secteur où, comme dans tant d’autres, la France et l’Europe voient leur retard se creuser.