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Lorsque l’on évoque les changements à l’œuvre dans le monde du travail, ce sont bien souvent les machines, robots et autres ordinateurs qui viennent à l’esprit. On le sait, la nouvelle économie et l’intelligence artificielle vont détruire bon nombre d’activités et en créer de nouvelles, avec tous les défis que cela suppose, notamment en matière de formation.
Mais parallèlement à cela, les manières de travailler vont également profondément changer. Un nouveau rapport au travail se dessine, plus individualisé, bien éloigné des journées calibrées et des carrières d’un bloc de nos aînés. Une perspective enthousiasmante pour certains, inquiétante pour d’autres.
Le CDI, cette institution synonyme de stabilité et de sécurité, n’a plus la cote. Certes, il représente toujours 85 % des emplois occupés, mais à peine plus de 10 % des embauches. Plus révélateur, moins de la moitié des 15-24 ans en emploi en sont titulaires, contre plus des trois quarts trente ans plus tôt, signe du caractère pérenne de cette évolution.
À ses côtés, c’est donc le travail atypique qui explose, qu’il soit salarié, avec la multiplication des CDD et de l’intérim, ou indépendant, comme en témoigne le succès du statut d’autoentrepreneur. La polyactivité se développe, puisque plus d’un million de salariés cumulent désormais plus d’un emploi. Cette flexibilité, parfois recherchée, ne doit néanmoins pas masquer la précarité qui entoure ces nouvelles formes de travail : incertitudes, difficultés financières, impossibilité d’obtenir un logement ou un crédit. On assiste à la naissance d’un véritable « précariat », source de souffrances individuelles et facteur de déstabilisation politique.
Le morcellement de l’emploi est une tendance lourde, fruit de l’évolution de nos économies mondialisées. L’ère du modèle fordiste, moteur d’une croissance soutenue portée par l’industrie, est révolue. Nous vivons désormais dans une économie de services aux cycles plus courts et plus incertains, dans laquelle il est bien plus difficile d’assurer à tous un emploi stable.
Profitant de ce vide, de nouvelles structures représentant les travailleurs apparaissent : sectorielles, comme les collectifs de chauffeurs VTC ou de livreurs à vélo, ou globales, comme l’Union des autoentrepreneurs, qui regroupe 400 000 d’entre eux. L’enjeu n’est pas ici de défendre éperdument l’emploi d’hier, mais de faire en sorte que l’on puisse vivre dignement avec celui de demain.
D’autant plus que ces évolutions répondent aussi aux nouvelles attentes des individus. En quête de sens et d’accomplissement dans leur travail, ils veulent pouvoir changer de trajectoire au gré de leurs envies et avoir le sentiment d’être utiles. Ils rejettent de plus en plus les structures managériales lourdes et pesantes. L’essor du travail indépendant et de l’entrepreneuriat procède de cette logique, et l’univers salarié n’y échappe pas. Une étude de 2014 révèle que 43 % d’un échantillon de jeunes diplômés d’écoles de commerce ou d’ingénieurs avaient quitté leur entreprise moins de deux ans après y être entrés.
Les entreprises s’adaptent donc à ces nouvelles demandes en repensant leur organisation : plus de travail en équipe, de responsabilisation et d’objectifs à long terme, moins de hiérarchie et de management au quotidien. Ainsi, le développement du télétravail permet aux individus de mieux concilier leur vie personnelle et professionnelle, sans que cela remette en cause l’importance de disposer d’un lieu de travail attitré. Poussées à leur paroxysme, ces remises en question donnent le modèle de l’entreprise libérée, où les travailleurs sont incités à gérer eux-mêmes l’intégralité de leurs missions et à prendre des initiatives sans en référer systématiquement à leur hiérarchie.
Nous sommes potentiellement à l’aube d’une révolution. Il faut espérer, avec l’optimisme qui prévaut, que l’idéal d’un travail émancipateur triomphe des incertitudes actuelles. À condition, une fois encore, de faire les bons choix.
Jean-Michel Arnaud, président du groupe Domaines Publics
Félicité de Maupeou, journaliste à L’Abécédaire des Institutions