Publié le 21/09/2016
Le Brexit a secoué les colonnes du temple européen. Alors que les Britanniques apprennent à imaginer leur avenir sans l’Europe, les Européens tardent à s’en imaginer un nouveau. Ce n’est pas l’Europe qu’il faut changer, mais son A.D.N. Un A.D.N qui plonge ses racines dans un contexte historique particulier. L’Europe est d’abord la fille de deux conflits mondiaux. Dans les années cinquante, l’Union se réalise pour dépasser le nationalisme dans lequel beaucoup voient l’origine des guerres qui ont ensanglanté le monde. L’Europe est aussi la fille de la guerre froide. Face au « bloc soviétique » qui s’enracine sur le continent, les Etats-Unis ont besoin d’un espace homogène de paix et de prospérité. Pour s’assurer que le géant économique reste un nain politique, ces derniers prennent soin de le doter d’une structure supranationale technocratique sans légitimité. Depuis la chute du mur de Berlin, tous les grands ensembles se sont adaptés à la nouvelle donne. Tous, sauf l’Union européenne.
Ses partisans soulignent son rôle essentiel dans l’établissement d’une paix durable en Europe. L’argument, martelé, s’apparente à une vérité immanente que rien pourtant ne permet de démontrer. Beaucoup de raisons peuvent expliquer l’absence de conflits: les souvenirs de la guerre, les Trente Glorieuses, le déplacement des intérêts stratégiques, la décolonisation. Certes, la liberté de circulation des personnes et des marchandises y a contribué. En est-elle pour autant la cause principale ? Plus grave, en un demi-siècle d’existence, l’Europe n’a pas su créer une identité propre capable de susciter l’adhésion voire l’attachement. Depuis sa création, elle n’existe pas en tant que Nation ; seulement comme un ensemble d’institutions. Qu’est-ce que l’Europe aujourd’hui si ce n’est quelques libertés, des milliers de fonctionnaires et des pages de règlementation ? On notera à cet égard que le traité qui fonde l’Union Européenne, le traité de Lisbonne, est illisible pour un non spécialiste.
Enfin, l’Europe n’a pas su apporter de réponses concrètes aux grands problèmes de notre temps que sont les crises financières, le terrorisme et la maîtrise des flux migratoires. Faute de volonté ou de moyens, les institutions ont laissé les Etats agir. Quitte à assumer une assourdissante cacophonie. Peu à peu, la technocratie a remplacé le politique. Après le fracas des idéologies, les Européens ont opté pour une pensée froide, sans aspérité. Le berceau de la démocratie mondiale a accouché de 500 millions de consommateurs qui ne quittent leur torpeur que pour signifier leur rejet d’un projet qui n’a de politique que le nom.
Que faire ? Une première solution consisterait à « faire comme d’habitude », c’est-à-dire multiplier les déclarations d’intention, financer deux ou trois « grands projets à horizon 2026 » et prier pour que cette mauvaise passe se referme. Une deuxième option pourrait être de répondre à la dislocation par une plus forte intégration. Elle marquerait le retour du grand rêve de « Fédération européenne » des pères fondateurs. Un rêve qui aurait un jour pu devenir une réalité si l’Europe se composait d’Etats homogènes sur le plan culturel et politique. Par ailleurs, les peuples européens ont rejeté avec une constante régularité toutes les initiatives qui conduisaient à un approfondissement de l’Union. Troisième solution: sortir, claquer la porte de l’Europe, faire cavalier seul dans le vaste monde. Si elle peut séduire, l’approche a pris du plomb dans l’aile depuis le Brexit. Les Britanniques prennent conscience que le fameux « plan B » dont parlent tous les populistes d’Europe n’existe pas. La gueule de bois, elle, est bien réelle.
Quatrième et dernière solution: tirer les conséquences de l’élargissement sans fin de l’Europe, assumer les difficultés de ces dix dernières années, laisser les Nations libres de répondre au besoin identitaire des populations, tout en leur donnant la possibilité de s’unir pour faire face à des défis communs. Cela implique de regarder l’Europe telle qu’elle est, c’est-à-dire comme une organisation internationale, non comme on voudrait qu’elle soit. De cette clarification pourraient naître de nouvelles institutions de type confédérales, plus conformes au souhait des peuples et des Etats. Une telle vision sonnerait le glas de la Commission, institution bâtarde qui suscite les malentendus et concentrent les critiques. En cessant de promouvoir une Europe « rêvée », peut-être en finira-t-on avec les déceptions et les frustrations. Peut-être qu’aussi l’Europe cessera d’être le bouc émissaire attitré des gouvernements nationaux.