Publié le 22/09/2016
Cet été, le burkini a fait grimper la température sur les plages de France. Le 28 juillet par arrêté municipal, David Lisnard maire de Cannes a été le premier à l’interdire, suivi en quelques semaines par une vingtaine de maires. Des agents municipaux ont verbalisé des femmes pour s’être baignées voilées. Associations, intellectuels et politiques ont pris position. Le 26 août, le Conseil d’Etat a ordonné la suspension de l’arrêté d’interdiction du maire de Villeneuve-Loubet. Si le débat juridique s’apaise, le débat politique fait rage. Certains le regrettent et accusent les responsables de souffler sur les braises. C’est oublier qu’en France, tout est politique.
La Constitution ne dit pas autre chose. Article 4 de la Déclaration des Droits de l’homme et du citoyen : « La liberté consiste à faire tout ce qui ne nuit pas à autrui (…) ces bornes ne peuvent être fixées que par la loi » ; article 10 : « Nul ne peut être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi ». Les autres libertés obéissent à la même logique : seul le législateur, autrement dit le « politique », peut y apporter des restrictions. Le fait de détenir un pouvoir n’implique pas d’en faire un usage systématique et absolu. Ici réside la noblesse de la fonction législative qui consiste à discerner ce qui est nécessaire et/ou acceptable pour garantir la coexistence de libertés contradictoires dans un contexte donné. La sensibilité de l’opinion évolue. Les motivations des personnes aussi.
Motivations dangereuses?
S’agissant du burkini, certaines d’entre elles peuvent être légitimes comme la volonté de vivre sa foi, de plaire à son mari ou à sa famille. D’autres, comme le désir de se distinguer ou de choquer, peuvent à la rigueur se comprendre. En revanche, dans quelques cas – expression de sa sympathie pour un groupe terroriste ou son rejet de la République – ces motivations sont dangereuses. Nécessaires pour juger d’un délit dans le cadre d’un procès pénal, celles-ci sont plus difficiles à analyser devant le tribunal de l’opinion. Certains défendront le port du burkini au nom de la liberté individuelle. D’autres le tolèreront pour ne stigmatiser personne. Les derniers se résigneront par crainte de l’affrontement. Toutefois l’opinion tend à le considérer comme une agression ou une provocation, qui exprime le refus de certaines valeurs de la société française au nom de règles supérieures. Une provocation, réelle ou supposée, qui s’ajoute à d’autres évènements qui ont marqué l’actualité : exigence de médecin féminin pour les femmes, demande d’horaires séparés à la piscine ou de menus spécifiques dans les cantines.
Laisser passer la polémique?
En l’espèce, faut-il agir ? La tentation est grande de laisser la polémique mourir avec la saison estivale. En plus de passer pour une acceptation tacite, cette posture pourrait inciter à des actions violentes. Pour l’opinion, elle s’apparenterait à une démission. Dès lors, qui doit agir ? Au premier abord, l’interdiction locale semble être la meilleure réponse. Elle permet d’apprécier la situation au regard du trouble à l’ordre public et de limiter les restrictions de liberté. Elle revient néanmoins à multiplier les foyers de contentieux, tout en faisant porter aux maires une lourde responsabilité. Trop lourde ? L’enjeu n’est pas tant de garantir la paix publique sur un morceau de plage que de clarifier les relations qu’entretiennent la République et une frange très minoritaire de musulmans.
Trois actions à mener
Une loi interdisant le burkini est-elle la solution ? Peut-on s’inspirer de la loi anti-burka ? « Comparaison n’est pas raison ». La loi anti-burka ne visait pas un signe d’appartenance religieuse, mais la dissimulation de son visage dans l’espace public. Pas sûr que l’argumentation soit transposable au burkini…Par ailleurs, la communauté musulmane, dont l’immense majorité aspire à une pratique apaisée et non provocatrice de sa religion pourrait la percevoir comme une agression. Au lieu de faire reculer le fondamentalisme, une telle loi risquerait de l’alimenter.
La réponse « politique » nationale ne peut se limiter à un débat parlementaire sur une loi qui ne serait pas assurée de franchir l’obstacle constitutionnel. Trois actions nous semblent devoir être menées. La première consiste à poursuivre le travail de sensibilisation de la jeunesse sur les dangers du fondamentalisme. Dans l’idéal, cette action devrait être menée par des jeunes et non par les représentants d’une génération vieillissante, dépassée et inaudible. La deuxième relève du vœu pieux dans la mesure où depuis quarante ans les gouvernements successifs s’y essaient et y échouent. Elle vise à structurer la religion musulmane en France grâce à des instances représentatives, des financements transparents et pérennes et des formations diplômantes pour les imams. La troisième, qui relève de la responsabilité des théologiens et des intellectuels musulmans, a pour but de penser et de promouvoir un Islam moderne compatible avec le respect des règles de la société française et fondé sur une nouvelle interprétation des textes sacrés.
Ces solutions sont toutes préférables à l’épreuve de force. Elles demandent à nos politiques du courage, du sang-froid, de la retenue. Elles sont l’occasion pour eux de montrer qu’ils ne sont pas des suiveurs mais des leaders d’opinion. N’en déplaise aux va-t’en guerre, ce chantier, vaste et difficile, est une chance. Une chance pour la République de réaffirmer son idéal de vivre ensemble. Une chance pour les musulmans de France et d’ailleurs de mieux faire connaître une religion qui, depuis des siècles, inspire puissamment l’art et l’esprit humains.