Publié le 09/03/2016
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Tandis que l’Europe continue à se débattre avec la crise des réfugiés, les négociations autour du Traité Transatlantique (TTIP ou TAFTA) se poursuivent, avec une issue espérée à la fin de l’année 2016. Pendant la dernière semaine de février, s’est tenu un douzième cycle de négociations entre l’Union Européenne et les Etats-Unis, où a été notamment discuté l’accès des entreprises européennes aux marchés publics américains. L’enjeu est crucial, même s’il n’est pas aussi médiatisé que l’harmonisation des réglementations sanitaires où la création d’un mécanisme de règlement des différends par l’arbitrage.
Marchés publics: 15% du PIB de l’OCDE
Les marchés publics représentent aujourd’hui une manne financière très importante pour les acteurs économiques, puisque leur poids est estimé à près de 15 % du PIB des pays de l’OCDE. Seulement, ceux-ci ne sont encore que très partiellement ouverts à la concurrence internationale. Plus de la moitié de la commande publique mondiale reste inaccessible à des entreprises étrangères, et des économies puissantes comme le Canada, le Japon et les Etats-Unis, sans parler de la Chine, sont toujours fortement protectionnistes. L’Union Européenne, elle, fait figure d’ovni, avec plus de 85 % de ses marchés ouverts à la concurrence.
De vastes secteurs de l’économie américaine restent fermés
Dans le cadre du Traité Transatlantique, le déséquilibre est sensible. Seulement 32 % des marchés publics américains sont accessibles aux entreprises européennes. Deux dispositions sont particulièrement discriminatoires : le Buy American Act et le Small Business Act. Le premier impose l’achat de biens produits sur le territoire américain dans le cadre des achats directs effectués par le gouvernement fédéral ; le deuxième réserve une part importante de la commande publique américaine aux PME nationales. Ce sont de vastes secteurs comme la construction, le transport ou l’énergie qui demeurent ainsi fermés.
Il s’agit d’un point sensible, puisque c’est notamment l’intransigeance américaine à ce sujet qui avait conduit la France en septembre dernier à menacer de rompre les négociations. L’enjeu est de taille. Une ouverture des marchés publics américains pourrait rapporter des dizaines de milliards d’euros aux entreprises européennes avec autant de créations d’emploi à la clé, une perspective appréciable pour un continent toujours plongé dans la morosité économique. La France, forte de ses géants comme EDF, Engie, Bouygues ou Alstom, serait bien placée pour remporter de futurs contrats.
Une Europe angélique
Mais plus largement, c’est l’esprit de la construction européenne qui s’illustre dans cette affaire. Comme le dit Paul Lignières, auteur de « Le temps des juristes. Contribution juridique à la croissance européenne », « L’Europe, très puissante dans l’histoire, est restée sur cette idée un peu angélique d’un continent qui va montrer l’exemple au reste du monde, et donc exiger davantage des Européens, des entreprises européennes que ce qu’elle exige du reste du monde. […] Le seul fait d’intégrer les principes de réciprocité dans le droit européen permettrait de dire : l’Europe aime les Européens, elle est là avant tout pour les servir. L’Europe doit descendre du piédestal de son rêve. »
L’Union Européenne, accusée de s’être ouverte aux quatre vents sans se soucier des dispositions de ses partenaires économiques, doit cesser d’être l’idiot utile du village global. La compétition pour les marchés publics est saine en ce qu’elle permet d’accroître la qualité de l’achat public et de diminuer son coût. Mais lorsque le déséquilibre est si flagrant, cet esprit d’ouverture se retourne contre l’Europe et pénalise ses entreprises. Il est grand temps de mettre en place un véritable principe de réciprocité qui inciterait les autres Etats à jouer le jeu de la concurrence et interdirait l’accès aux marchés européens à ceux qui s’y refusent.
Protéger les Européens
Ce travail a d’ailleurs déjà commencé, avec l’actuelle discussion au Parlement Européen d’un règlement permettant aux pays de l’UE d’empêcher des entreprises non-européennes de répondre aux offres de marchés publics à hauteur de cinq millions d’euros ou plus, si leur pays d’origine ne permet pas lui-même cette possibilité aux entreprises européennes. Par le Traité Transatlantique et au-delà, cette politique doit être poursuivie. Il n’en va pas seulement d’un principe de justice, mais bien de l’orientation de la construction européenne : un continent pionnier certes, mais qui protège les Européens, les défends et les aime.