Publié le 13/12/2015
Les attentats de Paris marquent un tournant. La menace prend aujourd’hui la forme de cellules organisées, mobiles, quasi indétectables, financées depuis l’étranger par un groupe sectaire doté d’une assise territoriale et de ressources importantes. Un groupe qui prospère grâce à la Realpolitik des grandes puissances, aux tensions qui minent nos sociétés, à l’ignorance et aux préjugés qui gagnent du terrain. Un groupe qui profite en outre de ces « zones grises » peu régulées, que sont la surveillance aux frontières, la finance, internet. La guerre qui est nous imposée est « totale » en ce qu’elle nous oblige à diversifier les niveaux de réponses, tout en mobilisant le corps social.
Le premier niveau est législatif. En novembre 2014, la loi dite « antiterroriste » avait adapté notre arsenal juridique, en créant notamment le délit « d’entreprise terroriste individuelle » et l’interdiction administrative de sortie du territoire. Adoptée à la suite des attentats du 11 janvier 2015, la loi sur le renseignement a quant à elle, étendu les moyens d’action des services en charge de la surveillance. Une mesure emblématique est la possibilité d’installer des logiciels « espions » surnommés « boîtes noires » sur les réseaux, permettant de détecter une « succession suspecte de données de connexion », tels que l’adresse I.P. du site visité, le destinataire du message, la durée de la conversation. Les services peuvent aussi désormais utiliser des International Mobile Subscriber Identity (I.M.S.I.) catchers, de fausses antennes relais qui permettent d’intercepter, sur une zone géographique précise, des conversations. Enfin, la loi du 24 juillet 2015 renforce le contrôle des mouvements financiers : abaissement des plafonds de paiement en espèces ; obligation pour les banques de déclarer à Tracfin les dépôts et les retraits supérieurs à 10 000 € cumulés sur un mois ; obligation de décliner son identité lors de l’achat d’une carte bancaire prépayée dès 250 €.
Le deuxième niveau est opérationnel. Il concerne les moyens humains et le renforcement des contrôles aux frontières. Dès le 12 janvier dernier, le président de la République avait décidé le déploiement de militaires sur le territoire dans le cadre de l’opération « Sentinelle ». Il y a quelques jours, leur nombre a été relevé à 10 000, soit 6 500 en Île-de-France et 3 500 en Province. Efficace, la mesure a un coût : un million d’euros par jour. En parallèle, devant le Congrès, le président de la République a annoncé le recrutement de 5 000 policiers et gendarmes supplémentaires qui s’ajoutent aux 2 680 postes qui seront créés d’ici trois ans dans le domaine du renseignement. S’agissant du contrôle aux frontières, les attentats de Paris semblent avoir mis fin à l’attentisme. Le 20 novembre, les ministres de l’Intérieur et de la Justice de l’U.E. ont décidé d’accélérer la mise en œuvre d’un fichier européen des passagers aériens. Il sera possible de savoir en temps réel qui voyage avec qui, depuis et vers où, y compris sur des vols intra-européens. Demeure un chantier capital en suspens : celui des prisons dont la vétusté constitue le terreau de la radicalisation. Même si sur le plan électoral, il est plus porteur de construire des stades et des salles de concert, la prévention du terrorisme passe aussi par une adaptation de nos équipements pénitentiaires.
Nécessaires, ces réponses doivent néanmoins s’accompagner d’un troisième niveau « social » ou « sociétal », qui consiste à briser les dynamiques d’exclusion. S’il se nourrit des ségrégations, le discours de Daesh vise à les exacerber. Certaines initiatives ont déjà été mises en œuvre comme l’introduction d’un enseignement laïque dans les programmes, la formation de 300 000 enseignants, ou la signature par les parents d’une charte de la laïcité. Ira-t-on jusqu’à réserver les meilleurs enseignants aux élèves les plus en difficultés ? On n’ose en rêver. Des associations, comme l’U.N.A.D.F.I., accompagnent les familles de jeunes radicalisés ; d’autres comme « Enquête », enseignent de manière ludique l’histoire des religions aux enfants. Au niveau local, dans des villes comme Bordeaux et Toulouse ou en Alsace-Moselle, les élus organisent le dialogue interconfessionnel pour aborder des problématiques comme la construction de lieux de culte ou le choix de menus à la cantine. Au lendemain des attentats, les Français de confession musulmane ont dénoncé avec force l’instrumentalisation de leur religion. Ils forment les meilleurs remparts contre la propagande.
Si les attentats de 2015 ont ébranlé des certitudes, ils ont permis l’expression d’une puissante mobilisation populaire en faveur des valeurs de la République. A une union nationale éphémère, succède une union citoyenne que l’on espère plus durable.