Toujours en quête d’un sponsor prêt à débourser 6 millions d’euros par an sur dix ans pour accoler son nom à celui du stade, la municipalité a envoyé une entreprise prospecter des grands groupes asiatiques, notamment chinois.
Le 26 mai, l’OM a célébré les vingt ans de sa victoire en Coupe d’Europe à l’occasion du dernier match de la saison contre Reims, au Stade-Vélodrome (0-0). Un stade qui devrait se voir accoler le nom d’une marque dans les mois à venir: la municipalité cherche en effet un partenaire commercial pour une opération de naming du stade, qui pourrait être étranger –chinois, par exemple.
L’enjeu est de trouver une entreprise prête à verser 6 millions d’euros par an sur au moins dix ans pour apposer son nom à celui du Vélodrome dès l’été 2014 –une rente nécessaire alors que le stade de la ville, qui doit accueillir l’Euro 2016, est contraint à de coûteux travaux de mise aux normes et d’agrandissement dans le cadre d’un vaste projet de renouvellement urbain du quartier.
Lors de l’annonce de la recherche d’un sponsor, les responsables du dossier affirmaient que ce dernier serait révélé courant 2012… Mais rien n’est venu. Le 10 novembre 2012, le maire de Marseille Jean-Claude Gaudin déclarait au journal La Provence que le nom du sponsor du Vélodrome pourrait être annoncé dans les prochains jours. Nouvelle fausse alerte.
Et voilà que lors de la réouverture au public de la tribune latérale Ganay, début avril, Bruno Botella, le directeur général d’Arema, filiale de Bouygues qui reconstruit et exploitera le stade, a affirmé qu’il poursuivait des pistes sérieuses en Asie.
Pourquoi est-ce si long?
A chaque fois, l’intérêt de la presse est grand pour ce genre de course au trésor. Après le stade MMArena du Mans (MMA), premier du genre en 2010, ou, plus récemment, l’Allianz Riviera à Nice, le contrat du Vélodrome «va donner le tempo en France. Ce sera un signal envoyé au marché que les grands stades peuvent faire du naming», explique Bruno Botella à Slate. Car c’est cette fois un candidat éloigné du territoire qui devrait être associé au nom du stade, pour un montant bien supérieur aux expériences précédentes sur le sol français.
Sur le papier, le Vélodrome devrait bien se vendre. «C’est une enceinte sportive rénovée de 5 étoiles, qui va accueillir l’Euro en 2016, c’est le stade le plus moderne réalisé en Europe, avec en plus l’aura particulière de l’OM», confirme Jean-Michel Arnaud, le président de Domaines Publics, agence d’intelligence économique et de lobbying mandatée par Arema pour trouver ce fameux «nameur».
Alors, pourquoi est-ce si long? «On a commencé par la France, mais le marché est plutôt difficile», admet Bruno Botella. Aujourd’hui, les recherches se tournent vers l’étranger. La«discussion [est] avancée avec quatre à cinq groupes qui sont plutôt à l’étranger, en Asie et Amérique du Nord», poursuit Jean-Michel Arnaud.
«Ça commence par un énorme travail de ciblage, pour trouver des marques intéressées par l’image de la zone géographique», explique-t-il. Une tâche moins évidente qu’il n’y paraît:
«Ce n’est pas un truc où on envoie des milliers de mails… ce qui est bon pour Lyon ne l’est pas forcément pour Marseille. C’est la subtilité du naming.»
L’OM sur le banc de touche?
Pour le Vélodrome, il s’agit ainsi de cibler une entreprise «B to C» (qui vend directement au consommateur) intéressée par le rayon d’influence de Marseille et de l’OM: sud de la France, Afrique du Nord et subsaharienne et aire méditerranéenne, zones où la population suit énormément les événements sportifs de l’OM.
Le club lui-même n’est pas directement concerné par cet accord futur: la marque sera associée à un monument, pas à l’Olympique de Marseille. Mais Arema prévoit cependant un package annexe au naming, qui ouvrirait au sponsor une visibilité lors des matches de l’équipe, explique Bruno Botella, sur des LED, panoptiques et loges du stade. Cette option amènerait des recettes supplémentaires à l’exploitant, tout en permettant au sponsor d’être plus étroitement associé au club.
Les 6 millions de redevance annuels seront entièrement reversés à Arema. Le coût du stade, initialement évalué autour de 160 millions d’euros, a été finalement estimé à… 267,5 millions: Arema le préfinance à hauteur de 100 millions, et compte se rembourser par une redevance annuelle sur 31 ans.
Le président de l’OM Vincent Labrune a fait savoir, notamment dans un récent dossier de France Football, tout le mal qu’il pensait du partenariat public-privé de rénovation du stade. Car de son côté, l’OM va certes avoir un stade agrandi et tout neuf, mais son loyer annuel pourrait passer à 8 millions d’euros par mois, au lieu de 1,5 million actuellement.
A l’assaut du marché asiatique
Selon nos informations, pour prendre la température du marché asiatique et convaincre ses grands comptes de mettre la main à la poche, Domaines Publics a fait appel à Ubifrance. Les bureaux de l’agence de développement des entreprises françaises à l’international —mieux connus sous leur ancienne appellation de «Missions économiques»— sont installés dans les bureaux de l’Ambassade et des consulats de France en Chine, et disposent d’une bonne connaissance des marchés locaux, qu’ils aident à déchiffrer pour le compte des entreprises françaises.
Et la Chine est la plus grosse implantation d’Ubifrance, avec plus de 80 personnes réparties dans cinq bureaux à Shanghai, Pékin, Chengdu, Wuhan et Shenzhen.
Or, les champions chinois sont à peu près inconnus hors d’Asie pour des raisons propres au développement économique de ce pays. Comme l’a révélé une étude de HD Trade Services (HDTS) parue le 2 avril, 94% des Américains sont incapables de nommer le nom de la moindre marque chinoise. Premier fabricant mondial de PC devant HP, Lenovo n’est connu que de 2,5% des 1.500 participants à l’enquête. Le géant du mobile Huawei n’évoque quelque chose qu’à 1,07% des répondants…
La situation en Europe est comparable. Une étude de la Chambre de Commerce européenne en Chine publiée en janvier montre que 21% des entreprises chinoises présentes en Europe y souffrent d’un déficit de notoriété. Pour HD Trade Services, cela s’explique par le choix des Chinois, en tout cas aux Etats-Unis, de s’implanter par rachat d’entreprises locales plutôt que par croissance de leurs propres marques.
Une solution au déficit de notoriété des marques chinoises?
Rebaptiser au nom de leur employeur le stade historique d’un grand club français, régulièrement qualifié en Ligue des champions, et faisant l’objet d’un engouement populaire resté intact au fil des ans, est donc susceptible d’intéresser les dircoms des grande groupes chinois.
D’autant que ceux-ci sont déjà rompus aux règles du jeu du naming: Shenhua, le géant du charbon, s’est infiltré dans le nom du FC Shanghai; le club de Dalian (province du Liaoning), porte le nom de Shide, groupe spécialisé dans les matériaux de construction chimiques; quant à Yiteng, poids lourd des technologies de télécommunication, il a cannibalisé le logo du FC Harbin (Heilongjiang).
De là à dire que l’installation de China Merchant Holding International dans les bassins ouest de Fos-sur-Mer, à la suite du rachat en janvier dernier de 49% des parts de Terminal Link à la CMA-CGM, augurerait d’une marée rouge sur la Canebière, il y a loin de la coupe aux lèvres. Seuls 5% des investissements directs à l’étranger chinois prennent la direction de l’Union européenne et si le chapitre neuf du 12e plan quinquennal chinois intime aux entreprises nationales de développer des marques de notoriété mondiale, la priorité reste donnée aux investissements dans les secteurs stratégiques, pas au renforcement du soft power industriel chinois.
Et il y a peu de B to C en Chine, tout comme en Inde, explique Jean-Michel Arnaud:
«Il y a beaucoup de groupes qui traitent avec les entreprises: personne dans le grand public ne les connaît, mais ça n’est pas important.»
Si un groupe devait mordre à l’hameçon, il restera au projet porté par le maire de Marseille, Jean-Claude Gaudin, sans consultation préalable du club, à convaincre les bouillants supporters provençaux, qui pourraient être réticents à l’idée de voir l’enseigne de leur stade balafrée par des idéogrammes. Mais fidèle à son rôle de premier Marseillais, il n’oublie jamais de rappeler, lors de ses déplacements sur place, que le nom du Vélodrome ne disparaîtra pas…